100 ans, est-ce suffisant pour la vie d’un mort ?

100 ans pour activer les vivants

100 ans, c’est ce que dure la mémoire d’un mort nous apprend Vinciane Despret*. C’est aussi la durée la plus longue d’une vie, étrange corrélation. Un mort comme vous et moi, pas comme Descartes ni Monet. D’ailleurs, je me souviens qu’étant adolescente, un de mes amis m’avait dit vouloir devenir célèbre. En lui demandant pourquoi, il me répondit vouloir marquer l’histoire et ainsi ne pas être oublié. Était-ce sa peur de mourir, peur de ne plus compter pour personne ou jeunesse ambitieuse ?

Alors, que faisons-nous de ces précieuses années, nous les vivants ? Car c’est bien aux vivants qu’appartiennent la vie ou la mort de cette mémoire. En parler, écrire, en faire des œuvres, poursuivre leurs projets ? Mais leurs projets sont-ils les nôtres ? Quel est notre but en gardant leur mémoire, les faire revivre pour eux ou pour nous ? Poursuivre une œuvre inachevée, est-ce pour leur rendre hommage ou pour nous aider à survivre à leur absence ? Alors, est-ce les morts qui nous gardent en vie ? Car se taire, faire un tabou de cette personne morte, mettre notre chagrin sous le tapis accentue la difficulté à traverser un deuil. C’est ma certitude, en tant que professionnelle de l’accompagnement du deuil, et en tant que personne ayant perdu des êtres chers.

Des photos, des livres, des enregistrements audios, des écrits, des peintures et bien d’autres supports sont des traces qui font perdurer la mémoire d’une personne au-delà de la mort. Nous les vivants, nous les utilisons d’ailleurs dans les premiers mois après le décès dans cette étape que l’on nomme « la recherche » . Nous humons profondément, nous écoutons avidement et intensément, nous contemplons à nous en fatiguer les yeux, nous caressons inlassablement pour faire revivre la personne que l’on aime et qui nous a été enlevée. Son parfum, son dernier message, sa photo, son pull préféré sont de précieux trésors dont nous devenons addicts et adeptes. Nous pouvons passer des journées, enfermés à nous remémorer la personne par tous nos sens. Adèle Van Reeth ** considère qu’une photo réduit la personne à une seule image car les traits disparaissent. Ecrire pour décrire lui permet d’en fixer d’autres. Elle fait le constat qu’elle ne pourra jamais nommer son père dans son entièreté mais son livre le fait exister.

Ensuite, vient le moment de nous remettre en action. Comment ? Ne serait-ce pas ce mort qui nous ferait revivre ? Car s’est souvent en continuant son œuvre, en créant une association en lien avec sa mort, en s’engageant pour une cause, en écrivant un livre témoignage que notre vie retrouve du sens. « Les morts donnent du talent » dit Vinciane Despret, ils sont utiles, nécessaires et généreux.

Une autre question est soulevée : comment un enfant décédé peut devenir un ancêtre pour la génération à venir ? Ce n’est pas facile d’imaginer un oncle de 9 ans, encore moins de s’en souvenir puisqu’il n’a pas de descendants pour garder sa mémoire. Des photos, des écrits, des témoignages tout est à trouver pour réactiver cette mémoire. Ecrire pour inventer une suite à ce qu’on n’a plus.

Ressources

  • *Les morts à l’œuvre, Vinciane Despret, ed. Les empêcheurs de penser en rond, 2023
  • **Inconsolable, Adèle Van Reeth, ed. Gallimard,2022
  • Je vous recommande le site de https://mieux-traverser-le-deuil.fr/ vous y trouverez des articles soutenants, des idées innovantes, et une ligne d’écoutants bénévoles formés à l’accompagnement du deuil.
  • Et le site https://histoires-de-vie.com/, comment garder la mémoire des vivants, idée innovante à découvrir absolument.

L’émission sur France 5, La grande Librairie sur la perte du 18 janvier 2023, à revoir dans ce lien https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/la-grande-librairie-saison-15/4474642-emission-du-mercredi-18-janvier-2023.html

Leurs paroles justes et qui résonnent en moi m’ont donné envie d’écrire ici, en y apportant des ressources et mes ressentis. Chacun viendra piocher ce dont il a besoin.

Cet article vous a interpellé, vous êtes concerné par une situation similaire, vous auriez besoin de poursuivre la réflexion, n’hésitez pas à m’appeler pour un accompagnement personnalisé, Sophie Poupard 06 33 98 14 23.